K. Crousaz u.a. (Hrsg.): Pierre Viret et la diffusion de la Réforme

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Titel
Pierre Viret et la diffusion de la Réforme. pensée, action, contextes religieux


Herausgeber
Crousaz, Karine; Daniela, Solfaroli Camillocci
Erschienen
Lausanne 2014: Antipodes
Anzahl Seiten
421 S.
Preis
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Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Yves Krumenacker

Ce n’est vraiment pas de chance: c’est au moment où l’on commémorait le cinquième centenaire de la naissance de Pierre Viret qu’on a découvert qu’il était en réalité né un ou deux ans plus tôt, en 1509 ou 1510! Mais le colloque tenu à cette occasion en 2011 à l’Université de Lausanne a néanmoins été particulièrement fructueux, car il a permis de donner un nouveau visage à Viret, à travers dix-huit contributions, publiées en français ou en anglais (avec un résumé substantiel dans l’autre langue) et réparties en deux grands ensembles , l’un plutôt consacré à la pensée théologique et au travail littéraire du réformateur, l’autre davantage à son implication dans le développement de la Réforme; mais il est évidemment difficile de séparer ces deux aspects.

Viret passe souvent pour un simple collaborateur de Calvin. Son intervention à Lausanne en 1536 est pourtant moins à analyser en termes de fidélité ou non à la pensée de Calvin (encore assez embryonnaire) que comme la volonté pour un jeune ministre de s’affirmer pleinement. Plusieurs contributions montrent qu’il est bien un réformateur à part entière. Ses sermons sont autant influencés par Érasme et Melanchthon que par Augustin et Calvin. La séparation radicale qu’il fait entre l’esprit et la matière lui fait comprendre la Cène à la manière zwinglienne, comme un simple acte commémoratif. Il est également plus radical que Calvin sur le droit de révolte, qu’il légitime à partir de 1559 dans ses traités contre les nicodémites dans le cas des tyrans et des mauvaises lois. Il se démarque aussi de la sensibilité évangélique française, comme le montre la polémique avec Pierre Caroli sur les prières pour les morts. L’examen de sa correspondance montre qu’il est au centre d’un réseau de pasteurs francophones et le principal contact des pasteurs alémaniques à Lausanne. L’originalité de la pensée de Viret apparaît nettement dans deux communications; l’une sur sa vision de l’islam, moins rejeté qu’instrumentalisé pour mieux réfuter le papisme, l’autre sur sa vision des religions païennes, qu’il utilise surtout pour montrer qu’elles sont finalement plus raisonnables que le papisme.

Sans doute plus que d’autres réformateurs, Viret veut toucher l’homme du commun. Il emploie un langage simple, écrit presque toujours en français, publie des livres de taille réduite auprès d’imprimeurs modestes. La simplicité du style de Viret apparaît également à travers ses références aux Pères de l’Église, utilisés comme informateurs sur divers sujets, et qu’il ne connaît qu’indirectement, sauf pour quelques-uns comme Lactance ou Jean Chrysostome. Mais la recherche de la simplicité passe paradoxalement par une érudition en matière d’animaux pour développer des enseignements moraux.

Viret écrit beaucoup: il vient juste après Calvin dans la production genevoise. La diversité de ses ouvrages est bien mise en valeur, depuis le premier texte entièrement de la main de Viret, l’Épistre consolatoire de 1541 qui, à partir d’arguments bibliques, incite les protestants persécutés à souffrir patiemment. La correspondance a été éditée depuis longtemps, mais M. Bruening a publié récemment 180 nouvelles lettres, qu’il présente ici, en montrant ce qu’elles apportent notamment sur les conflits avec Zébédée, Bolsec et Bauhin. Viret n’a écrit qu’un livre proprement historique, Des Actes des apôtres de Jésus Christ, tentative unique d’écrire une histoire de l’Église catholique du point de vue réformé en n’utilisant pratiquement que des sources catholiques. Bien d’autres ouvrages sont évoqués à travers les diverses communications, qui donnent un bon aperçu de l’étendue des genres littéraires fréquentés par Viret.

Son action en faveur de la Réforme est évoquée pour plusieurs territoires, notamment dans les bailliages communs de Berne et Fribourg, où on l’accuse de jouer de son influence de manière indue lors des votations religieuses (dans les années 1550). À Lausanne, sa participation à la dispute de 1536, où il joue un rôle décisif dans l’adhésion de la ville à la Réforme est à comprendre comme une manière d’affirmer son autorité ministérielle et donc comme la construction d’une Église s’appuyant sur un corps pastoral institué. C’est à Lausanne qu’il exerce son ministère jusqu’en 1559 et que, dans les années 1550, il instaure l’assistance aux pauvres s’inscrivant dans le mouvement de réforme de l’assistance du XVIe siècle. Lorsqu’il est en opposition avec le Conseil de Berne, il cherche le soutien d’Heinrich Bullinger à Zurich, sans grand succès, même si ce dernier l’aide à développer l’Académie et lui confie les futurs pasteurs zurichois. De Lausanne, Viret se rend à Lyon, après un passage à Genève puis à Nîmes. Là, il multiplie les échanges polémiques par l’imprimé avec les jésuites, notamment Edmond Auger, montrant que désormais seuls les ecclésiastiques des deux camps sont légitimes pour parler de religion. Expulsé de Lyon en 1565, Viret sert différentes communautés en Languedoc, puis passe les dernières années de sa vie, de 1567 à 1571, en Béarn, où Jeanne d’Albret en fait une sorte d’inspecteur ecclésiastique. Mais l’historiographie a curieusement très peu retenu cet épisode, probablement parce que Viret a oeuvré pour le développement de la Réforme, mais sans avoir créé le système presbytéro- synodal du pays ni fondé l’Académie de Lescar-Orthez. Même son lieu de sépulture est inconnu: sans doute à Orthez, mais on ne peut en être sûr.

Ce résumé montre la grande variété des apports du colloque. Toute nouvelle biographie de Viret (la dernière de Dominique-Antonio Troilodate de 2012) se devra d’en tenir compte. Il y a cent soixante ans, l’historien français Michelet écrivait, à propos de la Réforme: «D’elle-même elle était née partout ». Mais pendant bien longtemps, on l’a trop réduite à Luther et Calvin, éventuellement Zwingli. On a désormais de bonnes raisons de souscrire à cette idée d’une naissance multiforme de la Réforme, et de faire de Viret un de ses acteurs
majeurs.

Zitierweise:
Yves Krumenacker: Rezension zu: Karine Crousaz, Daniela Solfaroli Camilocci (éds), Pierre Viret et la diffusion de la Réforme: pensée, action, contextes religieux, Lausanne: Antipodes, 2014. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 123, 2015, p. 257-258.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 123, 2015, p. 257-258.

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